L’écho des campagnes

L’écho des campagnes 1

Solidarités entre mouvements

Lucile Falgueyrac, Seattle to Brussels network (S2B)

Ces quatre dernières années en Europe, nous avons construit un véritable mouvement contre les traités de libre échange transatlantiques.

Loin d’être limité à quelques ONG, cette lutte rassemble mouvements sociaux locaux et internationaux, syndicats, paysans et militantes de tout horizon et secteurs. De la Bulgarie à la Finlande, les campagnes contre l’accord EU- États-Unis, et l’accord EU-Canada renforcent les solidarités entre mouvements d’habitude très éloignés les uns des autres.

L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis, et ses premières mesures alliant racisme, discriminations, attaques contre les droits des femmes et remise en question de certains accords de libre-échange, est une aubaine pour ceux qui espèrent discréditer nos mouvements. La ratification du CETA est maintenant présentée par les partisans de l’accord comme un acte politique de résistance à Trump, un signal que l’Europe et le Canada sont maintenant les têtes de proue d’un monde libre et ouvert, deux remparts contre la folie du nouveau président américain.

Cette escroquerie m’estomaque. Les traités de libre échange entraînent toujours plus d’inégalités, de productivisme, d’extractivisme, créent de nouveaux droits pour les multinationales et rendent illégales une partie des solutions aux crises sociales et climatiques. Ils ne sont pas l’antidote aux extrêmes droites, mais créent toutes les conditions pour les faire prospérer.

L’écho des campagnes 2

Notre lutte pour un modèle économique alternatif

Guy Marius Sagna, Coordonnateur de la Coalition Nationale Non Aux APE, Senegal

Les Accords de partenariat économique (APE) font craindre le pire pour la population sénégalaise car les grands capitaux européens vont écraser nos petites exploitations paysannes et nos petites entreprises.
Ces accords vont renforcer la division internationale du travail qui fait de nos pays « sous-développés » des consommateurs de marchandises en provenance d’autres pays dont le rôle dans ce système néocolonial est celui de producteur.

Or il est regrettable qu’au Sénégal, se battre contre les APE est devenu très compliqué. Auparavant certains chefs d’entreprise dirigeaient la lutte, mais par crainte de représailles, aucun n’élève la voix aujourd’hui.

Ce sont donc des militants associatifs, politiques ou syndicaux qui organisent la mobilisation. Et malgré le contexte très dur, nous avons noté qu’il y a beaucoup plus de personnes qui veulent être informés. Nombre d’intellectuels, de politiques ou de députés ont signé des pétitions contre les accords. Et de plus en plus de citoyens, des villes comme des campagnes, demandent à ce que soient organisés des conférences sur les APE, afin de mieux comprendre et de s’investir davantage.

A travers notre lutte, nous mettons en avant un modèle économique alternatif, basé sur la complémentarité et la solidarité, aux antipodes des APE et de ses valeurs libre-échangistes comme la compétitivité et la concurrence.

L’écho des campagnes 3

Le TPP n’existe plus: la lutte s’est déplacée

Eric Holt-Gimenez, Food First, US

Donal Trump a tué le Partenariat Trans-Pacifique (TPP), déjà moribond, grâce à l’opposition infatigable des mouvements populaires. L’approche bilatérale adoptée par l’administration Trump n’est pas nouvelle.

Ayant pris le contrôle de presque toutes les économies de la planète, le protectionnisme (dans de nouvelles limites établies par les entreprises) sera bien plus important pour l’assise des monopoles du domaine énergétique et de nos systèmes alimentaires que le libre-échange sauvage. De cette façon, M.Trump ne fait que conclure un accord parmi d’autres visant à renforcer l’influence des entreprises.

L’appropriation de l’étendard antimondialisation par des populistes de droite à la rhétorique rodée, basée sur des idées xénophobes et de suprématie blanche, devrait nous inquiéter. Ce ne sont pas nos alliés. Il en va de même pour les néolibéraux « progressistes » qui ont mené le monde dans l’impasse du libre-échange.

L’élection de Donal Trump est une manifestation de la crise du modèle politique capitaliste, augurant un tournant dans la stratégie entrepreneuriale de spoliation et d’accumulation.

Le théâtre de lutte des mouvements populaires se déplace de l’échelle mondiale à l’échelle locale sous des formes nouvelles et significatives. Nous sommes en ce moment encore dans cette transition. Aujourd’hui, plus que jamais, il est essentiel de porter les principes de souveraineté alimentaire; ceux de justice sociale, solidarité, pluralisme et celui du droit de choisir nos propres systèmes alimentaires.

L’écho des campagnes 4

La lutte continue

Luciana Ghiotto, ATTAC Argentine

En Amérique latine, de nombreux traités de libre-échange sont en vigueur depuis plus de vingt ans. De pair, il existe une longue histoire de lutte contre la libéralisation prenant la forme de projets alternatifs d’intégration. La campagne continentale contre l’ALCA peut être considérée comme un des moments le plus fort de la lutte, qui en Argentine, a pris la forme d’une consultation populaire contre l’ALCA en 2003, entrainant sa fin en 2005 avec le sommet des peuples à Mar del Plata.

Enrayer l’ALCA n’a pas signifié la fin de la libéralisation. Les privilèges dont jouissent les entreprises se sont amplifiés sous d’autres formes et ont pris d’autres noms. Plusieurs puissances vont de l’avant avec leur agenda régional concernant le libre commerce, le traité Trans-Pacifique (TPP) qui a réuni 12 pays de la région en est un exemple éloquent.

L’Union Européenne, la Chine et des pays d’Asie du Sud-Est comme la Corée du Sud se sont lancés dans une course aux ressources naturelles sur le continent américain. Des campagnes pour dénoncer ces négociations menées à l’insu des citoyens, ont vu le jour. En Argentine, l’assemblée « l’Argentine se porte mieux sans les traités de libre-échange », qui coordonne des mouvements sociaux, syndicaux, politiques, environnementaux, travaille à cette fin.

Notre expérience de lutte contre l’ALCA a été essentielle et aujourd’hui nous réitérons l’expérience pour mettre un frein à l’agenda corporatiste et donner la préférence aux droits humains et environnementaux.

L’écho des campagnes 5

La lutte d’un État contre les ALE

Sridhar R, directeur de programme a Thanal, Inde

Des agriculteurs de Kerala, un État de l’Inde, est confronté une fois de plus à l’assaut d’un accord commercial, cette fois-ci venant du RCEP (un partenariat régional qui ne présage que du bien pour les lobbys concernés, mais qui sans aucun doute sonnera le glas de l’agriculture locale).

L’accord commercial indo-ASEAN a été passé de force par le gouvernement indien. Les agriculteurs et même le gouvernement de Kerala ont manifesté contre celui-ci en 2009. Les organisations d’agriculteurs et la société civile ont alerté sur les retombées de l’accord. Les barrières tarifaires ont été éliminées ou baissées sur le thé, le café, l’huile alimentaire, le poivre, le caoutchouc, le copra, la noix de coco, le coco, la noix de cajou, la cardamone, et l’huile de coco, productions principales de Kerala, mettant en danger le gagne-pain d’une grande majorité des paysans locaux.

En réaction, le peuple a formé une gigantesque chaîne humaine à travers l’État contre la décision du gouvernement central. Le gouvernement de Kerala a soutenu cette initiative, créant un conflit entre l’État fédéré et le gouvernement central. Des centaines de milliers de personnes se sont réunies pour former main dans la main la plus grande chaîne humaine peut-être jamais organisée en signe de protestation. Mais le gouvernement central, avec le docteur Manmohan Singh, un ardent promoteur des accords commerciaux internationaux et de la libéralisation lorsqu’il était premier ministre, nous a piégé: il a tranquillisé la délégation de l’État de Kerala, promettant que l’accord n’allait pas être signé sans l’acceptation des parties prenantes de Kerala, or il a tout simplement fait table rase de sa promesse et signé l’accord. Des agriculteurs à travers d’autres États (dont Karnataka, Tamil Nadu et bien d’autres États du Nord-Est) ont aussi souffert des répercussions de l’accord indo-ASEAN, mais très peu a été fait pour compenser leurs pertes. Aucune évaluation n’a jamais été entreprise avant la signature de l’ALE afin d’estimer son impact, ni pour prévoir des mesures de mitigation après son après entrée en vigueur.

Tirant les leçons de cet épisode, les agriculteurs de Kerala et les organisations de la société civile mènent de nouveau une lutte solitaire contre le nouveau RCEP proposé. Le gouvernement de l’État, a réagi écrivant à deux reprises au gouvernement central pour exiger la tenue d’un débat transparent avec toutes les parties prenantes avant l’ouverture des négociations du RCEP et a détaillé les impacts potentiels.

Nous sommes opposés à la signature directe avec plusieurs nations ASEAN du RCEP et d’autres ALE. L’Inde traverse une période déplorable, et aucun gouvernement doté d’un sens de la responsabilité vis-vis d’une population d’agriculteurs, en l’occurrence immense, n’adopterais un accord au jeu à somme nulle tel que le RCEP.

Les agriculteurs de Kerala ont manifesté mais de nombreux agriculteurs dans d’autres états souffrent aussi et sont même en train de s’éteindre à cause de cette crise. On demande au gouvernement des États de répondre aux problèmes de dettes des agriculteurs et de suicides par des abandons de créances. Mais cela ne peut en aucun cas constituer la marche à suivre. Il est grand temps que les gouvernements se rendent à l’évidence que protéger leurs agriculteurs des pressions du marché et du commerce mondial est un devoir fondamental qui ne doit pas être sacrifié sur l’autel des exigences croissantes du commerce.

Encadres

Encadré 1

Chili vs. Partenariat Trans-Pacifique

Depuis que Donal Trump a annoncé que les États unis se retiraient du TPP, nombreux sont ceux qui ont affirmé que l’accord disparaitrait.
Mais les chiliens sont toujours en lutte contre le TPP, certains qu’une différente version perdurera.

Voici les principaux dangers du partenariat:

• le TPP est un accord en perpétuelle évolution, donnant chaque fois plus de marge de manœuvre aux entreprises, tout en fermant au peuple les voies d’accès à la justice.
• La souveraineté nationale devient ambiguë; les pays perdent leur liberté de légiférer, d’élaborer des politiques publiques ou des plans d’investissement en dehors du cadre du TPP.
• Les pays sont soumis, par l’entremise du mécanisme ISDS, à des tribunaux parallèles privés étrangers, qui imposent des compensations si les entreprises ne récoltent pas les profits qu’elles pourraient à cause d’actions gouvernementales.
• Le TPP favorise les chaînes d’approvisionnement transnationales, ce qui veut dire que les agriculteurs sont obligés, à cause des grandes entreprises, à se plier aux conditions de l’agriculture industrielle, à savoir des salaires extrêmement bas, des conditions de travail précaires et aucune protection de la santé ni de la sécurité des travailleurs. Les entreprises accusent des retards de paiement, imposent des prix bas et des normes de travail. Les pays s’engagent même à harmoniser leurs législations du travail, portant ainsi davantage atteinte aux droits des travailleurs.
• Le TPP promeut une application plus restrictive et large des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les médicaments, ajustant la durée de validité des brevets aux intérêts des entreprises. Toute semence et plante sera privatisée. L’utilisation, la possession, l’échange libres de semence est criminalisé et passible de peines d’emprisonnement. Les brevets sur le vivant seront la norme. Même photocopier un document pour un usage privé sera pénalisé si une entreprise porte plainte. Les savoirs traditionnels et locaux seront intégrés de force dans le cadre des DPI, minant les relations au sein d’une communauté et leur culture.
• Si le profit des entreprises est menacé, le TPP interdit toute protection par l’État.
• On constate une tendance à la privatisation d’un nombre de services étatiques.
• Le TPP prévoit l’acceptation de cultures génétiquement modifiés pour éliminer toute barrière au commerce.

Ces mises en garde se retrouvent dans la campagne chilienne de sensibilisation contre le TPP.

Encadré 2

Les agriculteurs attachés aux entreprises

L’initiative principale du forum économique mondial, « une nouvelle vision de l’agriculture » (appelée programme Grow et connu sous le nom de VIDA en Amérique latine), mené par 17 entreprises internationales du secteur agroalimentaire, a pour objectif d’établir une relation juridiquement contraignante entre les producteurs agricoles asiatiques, africains et latino-américains et les grandes entreprises dans laquelle elles seront en position de force. Les instruments de différents accords de libre-échange sous-tendent cette soi-disant nouvelle vision régie par les principes du « partenariat public-privé [Bulletin Nyéléni n° 25] » et de « solutions basées sur le marché ». Les géants industriels tels que Nestlé, Pepsico et Monsanto, et les gouvernements concernés, ont promis que « la production alimentaire allait être augmentée, la durabilité environnementale assurée et des opportunités économiques au niveau mondial crées ».

Cette initiative accroîtra le contrôle des entreprises sur les marchés et les chaînes d’approvisionnement. Sur le papier, l’objectif est de promouvoir la sécurité alimentaire et œuvrer en faveur des petits producteurs, mais dans les faits Grow/VIDA vise à augmenter la production de quelques biens à l’avantage d’une poignée d’entreprises.

Grow/VIDA est une initiative lancée en 2009 à laquelle participent des entreprises du secteur de l’agriculture, de la transformation alimentaire ou de la vente, qui font avancer leurs intérêts sur « un forum politique clé ». Cependant, l’élément central du projet est l’établissement de chaînes d’approvisionnement verticalement intégrées pour les cultures commerciales et de marchés de produits intermédiaires avec un accent particulier mis sur l’agriculture sous contrat.

Cela crée une dépendance des agriculteurs envers les entreprises. La ségrégation des agriculteurs locaux produisant leur propre nourriture par leurs propres moyens et grâce à leurs propres semences s’accentue. L’on affirme œuvrer pour le bien des individus qui sont liés par ce système d’agriculture contractuelle, alors que ceux-ci sont forcés d’accepter des retards de paiement et des prix dérisoires.

Ces systèmes sont en vigueur dans douze pays africains, cinq pays asiatiques et quatre pays latino-américains, répandant ainsi un immense modèle basé sur les monocultures mécanisées, les serres aux cultures hybrides ou génétiquement modifiées, sur une demande sans fin exercée sur les agriculteurs liés aux entreprises, sur des normes inflexibles dans leur phrasé et des travailleurs évoluant dans les pires conditions possibles.

Encadré 3

Lutter contre le RCEP

Le partenariat économique régional global (RCEP en anglais) est un méga-accord commercial et d’investissement régional en cours de négociation entre les membres de l’ASEAN et six pays de la région Asie-Pacifique avec qui l’ASEAN a des ALE : l’Australie, la Chine, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud.

Ces pays harmonisent entre eux leurs réglementations en matière de commerce afin de créer un régime commun. Le risque est que les États qui ont signé le Partenariat Trans-Pacifique veuillent imposer en Inde, en Chine et dans les pays d’Asie du Sud-Est un agenda très corporatiste.
Les gouvernements perdraient leur marge de liberté en matière d’élaboration de politique. Les demandes clés des mouvements sociaux dans la région pour de meilleurs services publics, une véritable réforme agraire, la protection des producteurs et vendeurs à petite échelle du milieu alimentaire, et la refonte des traités actuels d’investissement bilatéraux, pourraient ne pas être satisfaites.

Depuis 2004, les organisations de la société civile ont récolté et analysé des textes de négociation qui avaient été divulgués. En 2015, une réunion importante d’activistes appartenant à des mouvements sociaux et organisations de la société civile s’est tenue à Kuala Lumpur et a débouché sur des plans pour entreprendre une action coordonnée. Nous sommes actuellement en train d’organiser des journées régionales d’action, d’élaborer des déclarations conjointes, de monter des ateliers, des sites internet et de préparer un travail de lobby pour faire pression sur les gouvernements. Nos préoccupations principales sont les suivantes: accès aux médicaments, privatisation des semences, accaparement de terres, répercussions sur les paysans, services publics, pression négative sur les salaires et le contrôle accru des entreprises imposé par les mécanismes ISDS. Nous demandons communément la fin du RCEP, pas une version améliorée de celui-ci!

La remise en question du Partenariat Trans-Pacifique pourrait donner un nouvel élan et une nouvelle direction au RCEP. Nous devons œuvrer pour y mettre un terme.

Sous les feux de la rampe

Sous les feux de la rampe 1

Qui fait pression pour faire passer les ALE?

Les accords de libre-échange et d’investissement (ALE) sont des accords entre deux gouvernements ou plus en dehors du cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Beaucoup d’élites de pays tels que les États-Unis, les pays membres de l’Union Européenne (UE), le Japon et l’Australie, ont voulu sortir du cadre de l’OMC arguant qu’elle ne va pas assez loin dans l’établissement de règles mondiales en faveur de leurs entreprises et de leurs objectifs géopolitiques, et en parallèle les discussions multilatérales avancent doucement. Depuis le début de ce siècle, ces élites cherchent à conclure de puissants accords au niveau bilatéral et régional aux moyens d’application redoutables. L’idée est qu’en poussant les pays à s’engager davantage et de manière plus détaillée dans la liberté d’entreprise par l’entremise de ces accords, un marché mondial uniformisé et entièrement ouvert au commerce entre transnationales et au mouvement de capitaux, puisse être construit à partir de la base.

Il n’est pas surprenant que ces accords soient conçus dans le secret. Dans cet état de fait, le rôle des parlements se limite à la conception d’objectifs généraux et le public se voit refusé l’accès aux textes de négociation. Les lobbyistes des entreprises sont activement consultés tout au long du processus pour arriver à une issue qui leur est favorable. En effet, les entreprises transnationales et les coalitions d’entreprises sont des acteurs prépondérants dans les processus de conception de ces accords. Par exemple, lors de la phase initiale des négociations entre les États-Unis et l’UE sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, les grandes sociétés agro-industrielles telles que Cargill et Coca-Cola représentaient les premiers groupes d’intérêts donnant aux négociateurs des indications cadrant avec leurs intérêts[1].

Les ALE englobent une grande variété de domaines-des droits de propriété intellectuelle (DPI), jusqu’aux télécommunications en passant par l’énergie et la sécurité alimentaire- détaillant précisément ce que peuvent et ne peuvent pas faire les pays dans un grand nombre de domaines alors que ces derniers ouvrent leurs marchés aux investisseurs étrangers. En conséquence, les gouvernements signataires sont forcés de réécrire leurs lois et prendre des engagements contraignants empêchant tout retour en arrière. Par le biais de ces accords, les entreprises obtiennent même le droit d’examiner les ébauches de politiques et projets de règlementations qui, selon elles, peuvent les concerner et avoir un effet sur l’ALE avec le pays partenaire.

Actuellement, des mouvements sociaux luttent contre de nouveaux ALE puissants tels que :
– l’AECG entre la Canada et L’Union Européenne (le Parlement européen a ratifié l’accord, mercredi 15 février 2017) ;
– TTIP entre les États-Unis et l’UE ;
– TPP entre les États-Unis, le Japon et 10 autres pays (les États-Unis se sont retirés de l’accord mais cela ne veut pas dire que l’accord est abandonné) ;
– RCEP entre les membres de l’ASEAN, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Australie, la Corée et la Nouvelle-Zélande ;
– l’ACS, concernant uniquement les services, entre les États-Unis, l’UE, le Japon et 20 autres pays ;
– Les APE imposés par l’UE en Afrique ;
– et les accords bilatéraux pour lesquels l’UE, l’Inde, le Vietnam, le Mexique, le Japon, le Mercosur, le Chili etc. font pression.

En plus de conférer un pouvoir politique et règlementaire, tous ces traités donneraient aux entreprises accès aux ressources naturelles, à de nouveaux marchés et aux marchés du travail.

Bien que certains de ces accords semblent être menacés par les nouveaux gouvernements de droite dans des pays tels que le Royaume-Uni et les États-Unis, qui ont promis de remplacer une série d’anciens accords commerciaux par de nouveaux, cela ne veut pas forcément dire que les anciens accords vont simplement disparaitre. Ils changeront peut-être de forme ou de partenariat ou encore avanceront plus lentement. De plus, ce serait une erreur de croire à la propagande selon laquelle les nouveaux et « meilleurs » accords d’échange et d’investissement sauveront les emplois locaux ou auront des effets positifs pour les agriculteurs, les consommateurs, les petites entreprises et l’environnement.

Sous les feux de la rampe 2

Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), quels sont les enjeux?

L’un des points le plus menaçant des accords de libre-échange et des traités d’investissement est le « mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États » (ISDS). Le mécanisme remonte à l’époque coloniale lorsque les puissances impériales voulaient protéger leurs entreprises opérant à l’étranger dans l’extraction de minéraux et la production de cultures commerciales. Elles ont mis au point des textes légaux qui ont évolués pour donner lieu aux traités d’investissements actuels dont l’objectif est de protéger les investisseurs de la « discrimination » et de l’expropriation par les États étrangers.

À cette fin, les traités octroient aux sociétés transnationales (STN) un droit spécial leur permettant d’assujettir les gouvernements étrangers à une arbitration contraignante lorsqu’elles considèrent avoir été lésées. Cela veut dire que les STN peuvent poursuivre en justice les gouvernements lorsque ceux-ci adoptent des politiques publiques qui limiteraient leurs investissements et leurs profits, telles que des lois anti-tabac ou des réglementations visant à réduire la pollution atmosphérique.

Les entreprises nationales ne jouissent pas de ce même droit : la simple menace d’une poursuite pourrait donner lieu à l’élaboration de politiques (effet paralysant). Les différends en matière d’investissements internationaux sont portés devant des panels spéciaux d’arbitration, habituellement devant la Banque mondiale à Washington ou des cours d’arbitration comme celle de La Haye. Cela leur permet de contourner purement et simplement les cours nationales sous prétexte qu’elles peuvent être biaisées. Les procédures sont menées par des avocats privés et dans le secret, sans possibilité de faire appel.

Au cours des 15 dernières années, les différends entre investisseurs et États ont augmenté de manière spectaculaire. Dans la plupart des cas, les demandes des investisseurs ont été entièrement ou partiellement satisfaites. Les gouvernements ont dû payer des récompenses s’élevant à des millions, si ce n’est des milliards, de dollars (c’est-à-dire de l’argent du contribuable qui pourrait servir l’intérêt général). À cause de cette menace, certains gouvernements mettent en attente leurs traités d’investissements le temps de repenser leurs stratégies.

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États porte un coup à la souveraineté alimentaire à plusieurs égards. Il dote les entreprises de moyens juridiques considérables pour renverser les politiques nationales soutenant les petits agriculteurs, les marchés locaux et l’environnement. Les initiatives de lutte contre le changement climatique dans le secteur alimentaire-par exemple la promotion de circuits courts en accordant la préférence aux producteurs locaux ou en les subventionnant- peuvent être remise en cause par les transnationales si elles considèrent qu’elles leur porteraient préjudice. Récemment, le Canada a empêché une entreprise américaine d’aller de l’avant avec l’exploitation d’une mine à ciel ouvert à Nouvelle-Écosse car les dommages pour la communauté de pécheurs locale auraient été trop importants. L’entreprise a traduit le Canada devant un tribunal ISDS et a remporté le procès, ce qui a couté aux contribuables canadiens 100 millions de dollars. Le Mexique a dû payer 90 millions de dollars à Cargill à cause d’une taxe sur les boissons contenant des taux élevés de sirop de maïs (un édulcorant produit par cette entreprise conduisant à l’obésité). La taxe contribuait à protéger l’industrie de canne à sucre du pays, représentant de centaines de milliers d’emplois, de l’afflux de sirop américain subventionné.

Le mécanisme ISDS octroie aux investisseurs étrangers plus de droits que ceux dont bénéficient les investisseurs nationaux, et ils l’utilisent à leur avantage dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Les accords d’échange stipulent en général que les investisseurs étrangers devraient bénéficier d’un traitement identique que les investisseurs nationaux concernant l’accès aux terres agricoles et aux zones de pêche (principe de traitement national). Le mécanisme ISDS octroie à ces entreprises un moyen supplémentaire pour user d’un droit dont les entreprises nationales (ou les agriculteurs ou pêcheurs et leurs coopératives) ne bénéficient pas. Quelquefois les investisseurs nationaux dans l’agroalimentaire implantent des entreprises à l’étranger et ensuite investissent dans leurs pays dans le seul but de bénéficier de ces protections supplémentaires.

La clé pour renforcer la souveraineté alimentaire dans le contexte du commerce international et même régional est que les états privilégient les producteurs d’aliments nationaux et locaux par le moyen de subventions et de politiques d’achat. Ces subventions et traitements préférentiels sont généralement interdits par des accords de libre-échange (bien qu’ils soient largement utilisés par de grands acteurs tels que les Etats-Unis ou l’UE), et le mécanisme ISDS offre aux entreprises étrangères un outil pour que les producteurs nationaux soutenus par de telles politiques ne menacent pas leurs profits.

[1] Corporate Europe Observatory, « TTIP : a corporate lobbying paradise », 14 juillet 2015, .

Bulletin n° 29 – Éditorial

Les ALE et l’agriculture

Illustration: Anthony Freda | www.AnthonyFreda.com

La méfiance et les mobilisations à l’endroit des accords de libre-échange (ALE) prennent de l’ampleur.
Les ALE menacent la souveraineté alimentaire parce qu’ils :
– Anéantissent l’apparition de stratégies publiques visant à soutenir les marchés locaux ;
– Abaissent ou éliminent les tarifs sur les biens importés, ce qui nuit aux petits producteurs qui ne peuvent pas rivaliser avec les importations subventionnées des grandes entreprises agroalimentaires ;
– Harmonisent les normes en matière de sécurité alimentaire, de pesticides, d’OGM et de bien-être animal au bénéfice des entreprises : les normes à minima appliqué es protègent leurs marges bénéficiaires ;
– Remanient les lois sur les brevets, exigeant des pays qu’ils privatisent les plantes et les animaux ; criminalisent les paysans qui sauvegardent et échangent des semences et variétés, endommageant ce faisant la biodiversité des systèmes alimentaires.
– Exigent que les investisseurs étrangers soient mieux traités que les investisseurs nationaux. Les premiers jouissent d’un meilleur accès à la terre et à l’eau, se voient octroyer des droits juridiques qui leur confèrent un pouvoir immense par le biais de systèmes d’arbitrage des différends entre investisseurs et États foncièrement anti-démocratiques.

Les ALE ne sont pas qu’une question de commerce. Il s’agit d’accords détaillés visant à consolider le capitalisme de libre marché, à renforcer le pouvoir des multinationales, de la finance et des gouvernements les plus puissants e pour faire avancer leurs objectifs géopolitiques. Les liens entre les ALE, le changement climatique, la destruction de l’environnement, la violation des droits des peuples autochtones, des travailleurs et des paysans, sont directs. L’élection de Donald Trump et le Brexit reflètent en partie l’indignation du public à l’égard de l’économie de marché, qui s’est cependant traduite par un soutien à un nationalisme pratiquant l’exclusion, la division et le racisme. Nous devons lutter pour un véritable changement systémique, en disant « non aux ALE, au capitalisme de libre-échange mondial », en combattant les politiques racistes et en défendant la terre mère.

Les ALE ne peuvent pas devenir des instruments permettant au peuple d’exercer le pouvoir. Ils doivent être enterrés à jamais et non pas réécrits.


bilaterals.org et GRAIN